Mouvement imminent de l’Otan contre la Syrie : Géopolitique du chaos ?

Au cours des dernières semaines, le bruit des bottes s’est fait plus bruyant, depuis les Etats-Unis et leurs alliés/vassaux de l’OTAN. Des missiles seront bientôt déployés en Turquie le long de la frontière avec la Syrie et, à Washington, l’administration Obama comme les médias dominants parlent d’une « ligne rouge » que le régime d’Assad ne doit pas franchir. Cette ligne rouge se rapporte à l’utilisation potentielle par Assad d’armes chimiques, essentiellement du gaz sarin, contre sa propre population. On ne connaît que trop bien ce « refrain » pour justifier une intervention étrangère. Durant le prélude de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, un subterfuge similaire a été utilisé par l’administration Bush afin de convaincre le public américain que l’invasion de l’Irak était une « guerre de nécessité ». Les preuves que Saddam Hussein possédait des Armes de Destruction Massive (AMD) et qu’il prévoyait de les utiliser furent concoctées par l’administration Bush et celle de [Tony] Blair au Royaume-Uni. Dans les deux cas, ces deux gouvernements avaient la complicité des médias dominants, dont le New York Times, la source d’information de référence aux Etats-Unis.

Une guerre de choix qui passe pour une guerre de nécessité

Jeudi dernier, de vagues efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre civile en Syrie ont eu lieu à Dublin, en Irlande. Les discussions se sont déroulées entre la Secrétaire d’Etat US [Hillary] Clinton et le ministre russe des Affaires étrangères [Sergueï] Lavrov. Il est cependant peu probable qu’une solution diplomatique puisse mettre fin à la guerre civile en Syrie qui dure depuis 21 mois, même si Moscou réalise que les jours d’Assad au pouvoir sont comptés. En dépit de cet effort diplomatique de onze heures entre Clinton et Lavrov à Dublin, la réalité et le ton à Washington étaient assez différents. Le Secrétaire à la Défense [Léon] Panetta a déclaré que « les rapports des renseignements faisaient craindre qu’un président Bachar el-Assad désespéré envisage d’utiliser son arsenal d’armes chimiques. Je pense qu’il n’y a aucun doute sur le fait que nous restons très préoccupés et très inquiets, et alors que l’opposition avance, en particulier à Damas, que le régime d’Assad pourrait bien envisager d’utiliser des armes chimiques ».

L’arsenal de l’OTAN en mouvement

Six batteries de missiles Patriot doivent être déployées dans les quatre semaines en Turquie par les Etats-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas. Elles sont censées « renforcer les défenses aériennes des membres de l’OTAN ». Ces missiles sol-air, qui ont la capacité d’intercepter des missiles, seront transportés en Turquie par la mer. Les parlements allemands et néerlandais voteront sur ces déploiements la semaine prochaine, et les approuveront très probablement. Deux batteries de missiles sont censées venir de chacun de ces pays. Une fois opérationnels, les six batteries pourront lancer plus de 500 missiles. Environ 100 soldats sont nécessaires pour faire fonctionner chaque batterie, ce qui signifie que 600 soldats, des Etats-Unis, d’Allemagne et des Pays-Bas, seront déployés en Turquie d’ici un mois.[1]

La Syrie: un remake de la Libye ou une répétition pour l’Iran ?

Les deux puissances mondiales qui peuvent s’opposer à l’attaque de l’Otan en Syrie qui menace dangereusement sont la Russie et la Chine. Mais si celles-ci n’ont rien fait de concret – en dehors de quelque opposition rhétorique à l’ONU – pour bloquer l’intervention militaire de l’OTAN et le soutien armé à la soi-disant « révolution » libyenne, pourquoi agiraient-elles pour empêcher l’OTAN de renverser Assad en Syrie ? Il semblerait que comparé au sort de Kadhafi, le cas d’Assad soit différent, surtout pour la Russie. Après tout, la Russie a des liens historiques avec la Syrie et la dynastie Assad depuis 1962. Pendant des décennies, les Syriens avaient l’habitude d’étudier dans des universités russes et rentraient très souvent au pays avec des épouses russes. Au début de la guerre civile, il y a presque deux ans, le nombre de Russes d’origine ou de personnes ayant la double nationalité russe/syrienne vivant en Syrie s’élevait au chiffre incroyable de 100.000. La perspective que la Russie puisse perdre la Syrie comme allié le plus fort dans cette région serait une perte d’influence écrasante pour le gouvernement de Vladimir Poutine, et exactement comme la Libye post-Kadhafi ou l’Egypte post-Moubarak, une Syrie post-Assad serait probablement contrôlée par des Islamistes, comme les Frères Musulmans, voire même les Salafistes.[2]

Dilemme pour la Russie et la Chine

Il est concevable qu’une sorte de grand marchandage soit en &oulig;uvre entre les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Europe occidentale – qui soutiennent tous activement et officiellement la pseudo révolution syrienne et qui l’arment – d’une part, et la Russie et la Chine, d’autre part. Mais que pourrait être un tel plan sibyllin s’il existait ? Quel bénéfice tirerait chacun des acteurs impliqués en permettant à toute cette région, à l’exception de l’Irak, d’être dominée par les Sunnites, sous la sphère d’influence de l’Arabie Saoudite et des riches pays pétroliers du Golfe ? L’argent et le pétrole sont-ils la seule considération, en opposition à l’influence politique, et si c’est le cas, des accords secondaires avec la Russie et la Chine sont-ils déjà en cours pour partager le butin ?

Fin de partie ou géopolitique du chaos?

Les personnes qui entretiennent des scénarii non-rationnels, et en particulier tous ceux qui sont obsédées par les théories de la conspiration comme celles qui concernent les soi-disant « Illuminati », parlent toujours d’une « fin de partie » : quelque plan mystérieux et tordu concocté par Henry Kissinger et ses amis. Ce plan a bien sûr pour but ultime de dominer le monde et d’asservir toute la race humaine. Mais c’est accorder trop de crédit à un groupe d’hommes surtout âgés dont les problèmes essentiels sont plus probablement l’incontinence et la perte de mémoire que l’établissement d’un nouvel ordre mondial avec eux à la barre.[3]

Une idée plus logique, plus rationnelle mais en fait plus effrayante est qu’il n’y a aucun plan d’ensemble. Si l’on y pense de façon cynique en utilisant les notions capitalistes froides de la dernière ligne du bilan et des bénéfices trimestriels, le business de la guerre – de toutes les guerres, livrées quelles qu’en soient les raisons – est toujours une proposition gagnant-gagnant. La machine de mort du complexe militaro-industriel gagne durant la destruction et les phases de massacres, et ensuite, une fois que tout est réduit à l’état de gravats ou en cendres, d’autres bras de cette même machine capitaliste bénéficient des plans de reconstruction, que cela se déroule dans l’Allemagne de l’après-guerre à travers le Plan Marshall ou en Irak sous la supervision de sociétés privées comme Halliburton.

Gilbert Mercier

Article original : NATO’s Pending Move on Syria: Geopolitics of Chaos

Traduction : JFG-QuestionsCritiques

Notes du traducteur :
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[1] Selon le site Hamsayeh.net, quelques heures après que l’OTAN a accepté de déployer des missiles Patriot en Turquie, la Russie aurait livré une première cargaison de missiles Iskander à la Syrie. Ces missiles sol-sol ultra-précis et indétectables, d’une portée de plus de 450 km, peuvent voyager à une vitesse hypersonique de plus 2,4 km/s (mach 6-7).

[2] La Russie a surtout une attache navale à Tartous en Syrie, son unique port d’attache en Méditerranée.

[3] Certes, Henry Kissinger et consorts, comme David Rockefeller, aujourd’hui très âgés, ont probablement d’autres préoccupations dues à leur grand âge. D’ailleurs, David Rockefeller, cofondateur du Groupe de Bilderberg qu’il a dirigé pendant 60 ans, n’a pas participé aux dernières « conférences ». Toutefois, le témoin a visiblement été passé à Richard Perle (l’un des concepteurs de la guerre d’Irak) et à Paul Wolfowitz (ardent défenseur de la guerre en Libye et de l’intervention américaine en Syrie).


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