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Quelle place pour la Russie dans le monde ?

par Jean-Marie Chauvier

www.globalresearch.ca 18 novembre 2003

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Entr�e en mati�re : un cas d��cole

Quelle place pour la Russie dans le monde ? Quelle place pour "notre" monde en Russie ? L'affrontement entre le Kremlin et une fraction de l'oligarchie russe nous �claire de fa�on saisissante. Voil� donc un g�ant p�trolier, Youkos, "acquis" par son patron Mikha�l Khodorkovski pour 129 millions de dollars et cot� en bourse � plus de 20 milliards, fusionnant avec un autre colosse, Sibneft, dont 51 parts sont obtenues en 1995 � 128 millions et cot�es en 1997 � 1,5 milliards de dollars. Ils s'appr�tent � vendre 25 � 40% de leurs parts aux compagnies �tats-uniennes Exxon-Mobil et/ou Chevron-Texaco, hors du contr�le du Kremlin. Le 25 octobre 2003, Mikha�l Khodorkovski est arr�t�, accus� d'�vasions fiscales, d'escroqueries, de meurtres. Cinq milliards de dollars d��vasion fiscale par an, dix � quinze milliards de fuite des capitaux, plus de 150 milliards depuis dix ans, alors que la Russie "a faim d�investissements", tels seraient les dommages caus�s par les oligarques. Or, nos m�dias pr�sentent plut�t Khodorkovski comme la victime d�un "r�glement de comptes" du Kremlin, suivant en cela les lib�raux et les mouvements de d�fense des Droits de l�Homme � Moscou, d�o� un appel est lanc� � Amnesty International pour octroyer au patron de Youkos le statut de "prisonnier politique". Poutine voudrait la peau de ce grand adversaire lib�ral. La "d�mocratie" est en danger, donc les privatisations, "on est � la veille de 1917" etc. Surprise, que cette "victimisation" du patron de Youkos ? Selon Jacques Sapir, �conomiste sp�cialiste de la Russie, l�oligarque serait en fait tr�s li� � Exxon, il participait activement � la strat�gie du groupe am�ricain. Familier de l�ambassade des Etats-Unis, il a �galement pris position pour la guerre am�ricaine en Irak et reproch� � Poutine ses (pourtant mod�r�es) critiques de cette guerre. On commence � comprendre�

Voil� un cas d��cole, un concentr� des questions que soul�ve la place offerte � la Russie (et au capitalisme russe) dans le monde capitaliste en voie de globalisation : quels sont les buts poursuivis de part et d�autre ? Qui roule pour qui parmi les oligarques russes (et bien s�r les m�dias et les experts grassement pay�s pour les soutenir) ? Y a-t-il encore place en Russie pour une souverainet� d�Etat, sans m�me parler du peuple qui rejette � pr�s de 80% les privatisations associ�es au vol et au crime organis� � quitte � accepter l�instauration d�un r�gime fort apr�s quinze ann�es de "chaos" ?

I. Le capitalisme en Russie

Le capitalisme russe n�est pas n� de la  "fin du communisme" ni du r�veil de Blanche Neige apr�s un long sommeil sovi�tique comme le sugg�rent les fantasmagories des lib�raux russes. Ceux-ci n�ont pas inaugur� apr�s 1991 "l�accumulation primitive du capital" ou la "modernisation" en Russie. Ni m�me le capitalisme.

1. Etapes et acteurs d'une m�tamorphose

Les ann�es trente staliniennes ont pos� les jalons de la modernisation, fond�e sur l�industrialisation, l�alphab�tisation et la formation de nouvelles �lites, moyennant des co�ts humains terrifiants. .De cette �poque datent aussi les syst�mes nourricier de la kormouchka (mangeoire ou ratelier) et de la comp�tition individuelle (stakhanovisme). Apr�s Staline, les 20�me au 22�me congr�s du PCUS, sous Khrouchtchev, stabilisent la classe dirigeante, d�concentrent le pouvoir, r�gionalisent l��conomie : les futurs pouvoirs r�publicains et r�gionaux s�esquissent. C�est aussi l��ge d�expansion de l'"informel", tant culturel qu��conomique, des march�s "noir" et "gris".

L�ann�e 1965 voit le lancement des premi�res r�formes de March�, des m�thodes occidentales de management , creuset d�une nouvelle technocratie.. Les relations de travail sont r�organis�es : conventions collectives, nouveaux droits syndicaux, plein emploi garanti g�n�rent un rapport de forces plut�t favorable aux travailleurs, consign� dans un code du travail (1970) qui vient d��tre aboli.. L��re Brejnev voit l�extension des autonomies au sein des entreprises, de l'�conomie parall�le, du logement priv�, des loisirs individuels, du pluralisme d'opinions et de cultures. De grandes corporations industrielles se forment au sein des unions de production.(1973) Les aspirations des �lites se heurtent au nivellement salarial, � l�interdiction des licenciements collectifs, aux charges financi�res de services sociaux d�entreprises. Toutes choses et valeurs collectivistes et �galitaires que le lib�ralisme actuel s�attache � �radiquer. D�s avril 1983, au plus haut niveau, sous Andropov, l��tat de crise est d�clar� dans le rapport de Tatiana Zaslavska�a. D�s 1985, alors que s�esquissent � peine la "glasnost" et la "perestro�ka", Mikha�l Gorbatchev re�oit de son principal conseiller id�ologique, Alexandre Iakovlev, l�invitation alors tenue secr�te � d�manteler tout le syst�me, monopole du parti compris. Fruit de trente ann�es de changements et de m�rissements, la soci�t�, les intellectuels, les travailleurs se mobilisent, revendiquant plus de d�mocratie, "plus de justice sociale" et "tout le pouvoir aux soviets". Mais l�id�ologie dominante des r�formateurs tourne au n�olib�ralisme, non sans influences et financements de l�Occident. Sous Gorbatchev, de 1987 � 1991, une s�rie de dispositions ouvrent la voie au capitalisme des ann�es 90 : naissance d�entreprises mixtes et priv�es (coop�ratives, joint ventures) permettant de blanchir le capital ill�gal, abolition du monopole du PCUS, fuite des capitaux � l��tranger, privatisations d�ateliers performants et de circuits commerciaux de grandes entreprises etc�La nomenklatura est lib�r�e de ses entraves id�ologiques et politiques, tente de se recycler dans les affaires.

Enfin, le groupe dirigeant d�mocrate russe, autour de Boris Eltsine et d�Egor Ga�dar organise d�s 1990 le tournant d�cisif. La dissolution de l�URSS en d�cembre 1991, la lib�ration des prix en janvier 1992, le rel�chement du contr�le des changes et des �changes sont autant de mesures organiquement li�es : elles permettent aux b�n�ficiaires de la rente p�troli�re de se constituer en groupes dominants de l�activit� financi�re et des m�dias. Les privatisations suivent. Ce sont les d�buts de l�oligarchie, d�une nouvelle bourgeoisie urbaine, et du d�classement social de masse de tous ceux que cette politique privera des fruits de leur �pargne pass�e, de leur pouvoir d�achat, sans parler de la propri�t� et du pouvoir confisqu�s par l�oligarchie. Cette grande r�gression a re�u le nom, dans les m�dias russes et en Occident, de "victoire de la D�mocratie". (cf annexe : �tat des lieux, le bilan social)

2. Le syst�me du capitalisme oligarchique

Le syst�me dit "du capitalisme oligarchique" se forme dans une �troite imbrication des instances politiques (l'administration Eltsine et les gouverneurs en Russie) et des groupes financiers, organisant l'�vasion de capitaux (minimum 150 milliards de dollars en une d�cennie) et le partage (pr�ts financiers "politiques" contre actions) des fleurons de l'industrie p�troli�re. On peut parler, sans crainte de sensationnalisme journalistique, d'un syst�me criminel au sens o� les lois russes sont viol�es, les biens publics dilapid�s, les ressources naturelles pill�es, de nombreuses personnes assassin�es, des millions de gens jet�s dans la mis�re et pouss�s � la mort par le "volet budg�taire" de cette politique, � savoir les r�ductions drastiques de d�penses sociales, la ruine de la sant� publique, ou encore l'abandon de r�gions enti�res qui, dans le syst�me sovi�tique, d�pendaient des mannes de "l'entreprise-Providence".

On ne peut cependant parler ici de nouvelle version du capitalisme des origines. D'une part, parce que la nouvelle bourgeoisie russe, loin d'�tre cr�atrice de biens comme le fut la bourgeoisie occidentale au 19�me si�cle, s'empare de biens existants et parasite le pays. D'autre part, parce que le "chaos" apparent dissimule une relative organisation. Les clans et les r�seaux de relations issus de l'ancien r�gime sont d�terminants pour l'acc�s � la propri�t�. A c�t� du "Far-East" p�trolier, l'Etat conserve des parts d�cisives dans les secteurs du gaz (Gazprom), du transport p�trolier (Transneft), des t�l�communications, de l'�lectricit�, des transports. Le ma�tre d'�uvre des privatisations (patron du patrimoine d'Etat et de l'�lectricit� d'�tat), Anatoli Tchoubais, est paradoxalement champion du lib�ralisme et dirigeant de l'Union des Forces de Droite qui, d�but novembre 2003, se mobilise avec les "d�fenseurs des Droits de l'Homme" pour r�clamer la lib�ration de Mikha�l Khodorkovski, le patron de Youkos et d�noncer la d�rive autoritaire du Pr�sident Poutine. D'autre part, s'il y a de vastes zones sinistr�es et incontr�l�es en Russie, des r�gions o� l'on en revient � l'�conomie d'autosubsistance et au troc, les places fortes du capitalisme s'av�rent tr�s organis�es, comme Moscou, avec la gestion "social-d�mocrate" d'un maire, Youri Lujkov, qui veille � �viter tout d�sastre social, ou comme certaines r�gions p�trolif�res au Nord-Ouest sib�rien, o� les hauts salaires et les services sociaux "� la sovi�tique" sont de rigueur, notamment � Youkos, pour retenir une main d'�uvre que les rigueurs climatiques risquent d'�loigner.

3. Cinq groupes d'acteurs

Il faut relativiser un st�r�otype : "la nomenklatura s�est partag� le g�teau". Si du moins l�on parle du grand g�teau, celui des oligarques, ils ont la plupart entre 30 et 50 ans, n�ayant occup� aucune fonction dirigeante du temps de l�URSS. Dans un classement improvis� et sans doute provisoire, on peut distinguer cinq groupes d'acteurs sur la sc�ne capitaliste russe:

1) Les pionniers r�formateurs lib�raux, tels Egor Ga�dar, Anatoli Tchoubais, Boris Nemtsov, tous dirigeants de l'Union des Forces de Droite (SPS), tr�s impopulaires mais disposant de leviers financiers majeurs, de l'appui de nombreux journalistes, intellectuels, militants des Droits de l'Homme, dont l'embl�matique Serguei Kovalev, id�ologue du lib�ralisme humanitaire, qui demande l'adoption de Mikha�l Khodorkovski comme "prisonnier politique" par Amnesty International.

2) Les "oligarques" du secteur priv� des mati�res premi�res export�es, de la finance et des m�dias. Tr�s proches des pr�c�dents et de l'administration Eltsine ("la famille"). Boris Berezovski (ventes d'automobiles � l'�tranger, p�trole, m�dias, finances et influences au Kremlin), Vladimir Goussinski (banques, m�dias, immobilier), Mikha�l Khodorkovski (p�trole, Youkos), Roman Abramovitch (p�trole, Sibneft) Mikha�l Fridman (p�troles de Tiumen, TNK), Vaguit Alekperov (p�trole, Lukoil) Oleg Deripaska (aluminium, Roussal), Vladimir Potanine (Nickel de Norilsk).

3) Les patrons du secteur mixte, b�n�ficiaires comme les pr�c�dents des privatisations et des exportations d'hydrocarbures, mais encore largement ins�r�s dans la nomenklatura d'Etat, les patrons du monopole du gaz (Gazprom, 40% de parts � l'Etat) et de plusieurs banques.

4) Le patronat des secteurs non ax�s sur les exportations, du complexe militaire et scientifique, de la sid�rurgie, de l'agro-alimentaire, diversement li�s aux pouvoirs f�d�ral (Kremlin) et r�gionaux (gouverneurs). L�id�e d�un capitalisme d�Etat y est r�pandue.

5) La bureaucratie politique et administrative, les appareils militaire et policier, en perte de vitesse bien qu'ils aient jou� un r�le essentiel dans la mise en place du pouvoir, la r�pression de la r�volte "parlementaire" de 1993, les deux guerres de Tch�tch�nie, les campagnes �lectorales et, plus r�cemment, la construction du nouveau parti "Russie Unie". Les tenants des structures de force, arm�e, polices et FSB, les "siloviki", se situent dans ce groupe qui n'a rien d'homog�ne et entretient, avec les quatre groupes pr�c�dents, des rapports complexes et changeants. Au nombre des siloviki, il faudrait d'ailleurs ajouter les arm�es priv�es des oligarques o� ont �t� recycl�s nombre d'anciens agents du KGB. Le dernier venu sur la sc�ne est le clan des siloviki de Saint-Petersbourg men� par Vladimir Poutine. Form� dans le giron de feu le maire Anatoli Sobtchak, un ultra-lib�ral, son adh�sion � l'�conomie de march� ne peut �tre mise en doute. Mais une dose accrue d��tatisme est possible, comme en Cor�e du Sud, � Taiwan ou en Turquie au d�but de leurs "transitions". Les pouvoirs (le Kremlin) ont �t� d�terminants dans l'ascension des oligarques : �limination sanglante des structures d�mocratiques d�rangeantes pour la lib�ralisation (soviets et parlement) en octobre 1993, instauration par le referendum de d�cembre 1993 d'un r�gime pr�sidentiel autoritaire partageant le pouvoir avec celui des gouverneurs r�gionaux, repartage de la propri�t� dans le cadre de la r��lection pr�sidentielle de 1996.

La donne change avec Vladimir Poutine : mis sur orbite par certains oligarques, notamment Boris Berezovski, il n'h�site pas � les priver de leurs empires m�diatiques, � en contraindre plusieurs � l'exil ou � les faire emprisonner moyennant des dossiers qu'on imagine abondamment fournis et pr�ts � servir pour quiconque se mettrait encore en travers de sa route. Le pr�sident b�n�ficie pleinement de la Constitution autoritaire impos�e en d�cembre 1993. Par contre, il fait chapeauter les gouverneurs par des instances ("verticale du pouvoir") � lui d�vou�es. Le syst�me oligarchique para�t �branl�.

4. En voie de globalisation.

Faut-il rappeler que la voie suivie en Russie par les Ga�dar, Tchouba�s et autres Tchernomyrdine, sous la houlette de Boris Eltsine, avait �t� recommand�e par le m�morandum du FMI en 1991, les experts conseillers Sachs, Aslund et autres ? La d�sindustrialisation, r�sultant du d�mant�lement du complexe militaro-industriel et de la recherche scientifique, l'orientation accentu�e vers les exportations de mati�res premi�res, l'ouverture du march� int�rieur � des produits qui allaient forc�ment ruiner les industries et l'agriculture locales, tout cela figurait dans le m�morandum et les conseils d'experts avis�s. La place offerte � la Russie dans l'�conomie en voie de globalisation est de facto celle d'une r�serve de mati�res premi�res. Le potentiel scientifique a �t� �cum�, des milliers de chercheurs de haut niveau sont partis, attir�s notamment aux Etats-Unis par de juteux contrats, certaines fondations am�ricaines install�es en Russie ayant fait office de recruteurs. Les Etats-Unis et l'Europe sont sp�cialement int�ress�s par le gaz et le p�trole. D�autres secteurs pourraient certes �tre relanc�s par une politique volontariste de diversification en Russie  : agroalimentaire, automobile, machine-outils, a�ronautique, armement. Ce sera l�un des enjeux de l�entr�e � l�OMC. Mais l� aussi, les risques de la globalisation sont consid�rables. L�une des pierres d�achoppement des discussions est l�exigence occidentale d�un alignement des tarifs domestiques tr�s bas de l��nergie sur les tarifs europ�ens. Moscou refuse  : ce serait la condamnation � mort de nombreuses entreprises et un risque majeur d�explosion sociale.

La globalisation est commerciale. Elle est aussi militaro-politique. Dans la nouvelle vision de leur r�le mondial, les Etats-Unis envisagent en tout cas un ensemble de dispositifs d�encadrement de la mondialisation, assurant � la fois l�expansion du March� et leur h�g�monie. Une option diversement d�clin�e par les �coles dites r�alistes et n�oconservatrices. L'enjeu "eurasien", autrement dit la recolonisation �conomique et culturelle de tout l'espace ex-socialiste, de l�ex-Yougoslavie � la Chine, fait partie de cette vision, et la Russie est au c�ur de cet espace, une puissance qu'un g�ostrat�ge comme Zbignew Brzezinski envisage de disloquer si possible.

II. La Russie dans "un monde sans URSS". Rep�res

1. De l�occidentalisme au r�alisme

"C'est l'american way on life qui l'emporte ici", constatait George Bush p�re lors de son voyage � Moscou en 1990. La bonne entente qui r�gnait alors, dans l'action commune des dirigeants des deux blocs pour liquider l'un des deux (et non "les r�concilier"), les cr�dits du FMI refus�s � Mikha�l Gorbatchev, mais accord�s � Boris Eltsine en raison de ses choix franchement lib�raux, ont form� l'image d'un Occident apais� et philanthropique. L'euphorie occidentaliste des ann�es 1989-93 s'est calm�e lorsqu'il devint �vident que l'aide financi�re �tait assortie de conditions draconiennes, que les Etats-Unis comptaient �largir l'OTAN avec ou sans l'assentiment de la Russie, finalement contrainte � un "partenariat" de complaisance. L'influence croissante de conseillers militaires am�ricains en Ukraine, en Azerba�djan et en G�orgie, les grandes man�uvres autour des p�troles de la Caspienne ont finalement donn� l'alarme. Les guerres en Yougoslavie ont r�v�l� les nouvelles ambitions des Etats-Unis dans les Balkans. Moscou a d�couvert brutalement l'ampleur de la chute : sa diplomatie n'�tait plus que l'ombre d'elle-m�me.

 

La Russie se trouvait soit �cart�e de la sc�ne diplomatique, soit r�duite au r�le d'interm�diaire aupr�s de Milosevic, lors de la guerre du Kosovo, en tout cas confront�e � un d�ploiement de forces dont elle s'est sentie la cible potentielle dans l'avenir. D�s 1993 et surtout apr�s 1996 , la politique ext�rieure russe s'est recentr�e sur deux objectifs : d'abord, la reconstitution de liens dans l'espace ex-sovi�tique rebaptis� "�tranger proche", ensuite le r�-�quilibrage des relations avec le monde dans un sens "euro-asiatique", impliquant, selon la ligne pr�conis�e par Evgueny Primakov, des liens renforc�s avec la Chine, l'Inde et l'Iran, un retour sur la sc�ne proche-orientale.

2. CEI : les rapports au "proche �tranger"

Contrairement � l'id�e re�ue, et r�currente, ce n'est pas l'ind�pendantisme militant de sept r�publiques p�riph�riques rassemblant moins de 10% de la population de l'URSS et de r�gions occidentales de l'Ukraine qui ont men� l'Union sovi�tique � la dislocation. Si les facteurs d'implosion �taient consid�rables, une majorit� des Sovi�tiques s'�taient prononc�s pour le maintien de l'Union au moins sous une forme conf�d�rale et ses r�publiques "musulmanes" �tant plus attach�es que d'autres � un syst�me qui les subventionnait. Au contraire, la Russie de Boris Eltsine, ses �lites financi�res en gestation et ses groupes exportateurs de p�trole et de gaz �taient les premiers int�ress�s, et seront les plus ardents � mettre fin � une Union qui les obligeait � partager des biens qu'ils pourront davantage exporter contre devises fortes.

Les anciennes r�publiques, oblig�es d'acheter � la Russie les hydrocarbures � des prix se rapprochant progressivement des cours mondiaux vont se retrouver dans des situations d'endettement qui renforceront ult�rieurement la pr�dominance russe. Celle-ci s'exercera moins, en Ukraine par exemple, par des pressions politiques et militaires classiques que par de tr�s "capitalistes" m�thodes : l'all�gement de la dette �nerg�tique a �t� n�goci�e en �change de prises de participation russes dans le capital des entreprises d'Ukraine.

Ce red�ploiement se heurte � deux adversaires mineurs et � un troisi�me d'envergure. Les deux premiers sont le panturquisme, redout� au d�but de la d�cennie et l'islamisme politique : tous deux ont �t� contenus par la force centrip�te des nationalismes "ethniques" conjugu�s aux int�r�ts communs avec la Russie. L'islamisme est plus mena�ant dans les pays d'Asie centrale o� il anime des oppositions aux r�gimes autoritaires (et fragiles) en place. Le troisi�me acteur est d'une autre nature. Les Etats-Unis ont des ambitions continentales (eurasiennes, caspiennes) et sont le principal vecteur de la globalisation, aux moyens financiers, technologiques, militaires nettement sup�rieurs � ceux de la Russie.]

3. Politique ext�rieure (hors CEI)

La nouvelle politique ext�rieure russe a connu trois �tapes :

1) de 1991 � 1996, la politique occidentaliste du ministre russe des affaires ext�rieures Andr�i Kozyrev renouvela en profondeur le personnel du MID. Celui-ci s'est peupl� de chauds sympathisants de la "Maison Blanche" (de Washington) et de la cause isra�lienne, ce qui n'�tait pas vraiment l'habitude � la place Smolensk. Les "orientalistes", sp�cialistes du monde arabe et de l'Afrique ont �t� remerci�s, privant le MID de tout un h�ritage, et ce au b�n�fice de n�ophytes qui n'avaient d'yeux que pour Washington et les autres capitales occidentales, ou encore Tel-Aviv. Le ton g�n�ral des m�dias russes basculait de l'ancienne "solidarit� anti-imp�rialiste" au r�glement de comptes virulent avec tout ce que la plan�te comptait de communistes, de r�volutionnaires, de castristes, de Palestiniens et autres "terroristes", d'adversaires de la mondialisation n�olib�rale.

2) de 1996 � 1999, le recentrage. Les exp�riences accumul�es en Yougoslavie et autour de la Caspienne, la prise de pouvoir � Kaboul du r�gime taliban que soutient la CIA et la poursuite de la "carte islamiste" des Etats-Unis contre la Russie (et la Serbie) apr�s avoir longtemps servi contre l'URSS font s�rieusement r�fl�chir. Les Russes prennent conscience d'�tre la cible potentielle du d�ploiement h�g�monique des Etats-Unis. Mais, contrairement � ce que pr�conise un Guennadi Ziouganov, p�n�tr� d'une vision g�opolitique tr�s "eurasienne" du r�le de la Russie, la politique ext�rieure russe ne prendra pas le tour d'une nouvelle guerre froide de "r�sistance � l'imp�rialisme am�ricain".

3) sous Vladimir Poutine, le tournant. D�s la fin 1999, le choix se profile d'une r�affirmation de la puissance russe, mais en composant avec l'h�g�monie �tats-unienne. Une refonte de la politique militaire s'amorce : professionnalisation de l'arm�e en situation catastrophique, investissements dans les nouvelles technologies de gestion, de communication, du renseignement, relance de l'armement nucl�aire y compris les armes strat�giques offensives. Simultan�ment a lieu une vaste remise � jour de la strat�gie p�troli�re. Sur ces deux fronts, la Russie de Poutine esquisse un red�ploiement qui devra ensuite saisir l'occasion du 11 septembre pour se situer en apparence en osmose avec le discours "antiterroriste" de l'administration Bush junior, sinon de la guerre globale am�ricaine qui s'amorce. Mais il y a, dans cette alliance, ambivalence et source de malentendu. Si les grands m�dias lib�raux de Moscou applaudissent Vladimir Poutine � grand renfort de discours sur le "ralliement de la Russie � la civilisation mondiale", d'islamophobie et de d�nonciation des terrorismes, notamment arabe et palestinien, divers centres d'�tudes strat�giques et des milieux officiels, mettent en garde contre l'"unilat�ralisme" de Bush, et le non-respect de l'ONU. Cette ligne de "solidarit� critique" avec Washington s'accentue avec les campagnes successives d'Afghanistan et d'Irak, o� la Russie offre ses bons services mais d�fend d'arrache-pied ses int�r�ts, notamment dans le dossier de la dette irakienne et du partage des march�s p�troliers apr�s la guerre. Vladimir Poutine a le profil bas, le "d�saccord" modeste, sa marge de man�uvre est �troite, mais elle va s'�largir lorsque � la faveur des �checs de l'occupation am�ricaine en Irak se renforce l'id�e d'un contre-poids sur l'axe "Paris-Berlin-Moscou".

4. "Antiterrorisme" en Tch�tch�nie et � � d�autres fins

L'adh�sion � la "guerre anti-terroriste" de George Bush a permis � Vladimir Poutine de se poser aux avant-postes de cette guerre, dans sa propre campagne de r�pression en Tch�tch�nie. Pour arr�ter le "bal des souverainet�s", Boris Eltsine avait engag� fin 1994 une guerre terriblement meurtri�re, o� l�arm�e russe est d�faite. Dans une soci�t� tch�tch�ne clanique, mais aussi �duqu�e et la�cis�e (� la sovi�tique) et de tradition soufie, cette premi�re guerre russe (1994-96) a favoris� la p�n�tration du radicalisme islamiste wahhabite (soutenue par l'Arabie saoudite), l'introduction officielle de la charia par le pouvoir s�paratiste d'Aslan Maskhadov. En 1996-99, le retrait russe n'enraye pas le chaos. Il encourage probablement les initiatives des Etats-Unis dans la r�gion : alliance antirusse GUAM (G�orgie, Ukraine, Azerba�djan, Moldavie), pr�sence militaire en Azerba�djan, projets de nouveaux ol�oducs caspiens �vitant la Russie, Bakou-Soupsa (auquel serait rattach� l'ol�oduc tch�tch�ne) et Bakou-Tbilisi-Ceyhan. L'un et l'autre doivent sceller l'alliance, sous patronage �tats-unien, entre l'Azerba�djan, la G�orgie et la Turquie. La perspective est l'acheminement par les m�mes trac�s �vitant la Russie des p�troles du Kazakhstan et du gaz de Turkm�nistan. Ce dernier doit �tre �galement transport� via l'Afghanistan, c'est le projet qu'UNOCAL et l'administration Clinton n�gocient avec les Talibans. Le pr�texte de la deuxi�me guerre de Tch�tch�nie sera, en ao�t 1999, le lancement par les chefs "wahhabites" Chamil Bassaiev (tch�tch�ne) et Amir al Khattab (saoudien, li� � Al Qaida) d'une attaque contre le Daguestan en vue d'�tablir un r�gime islamiste d'ouest en est du Nord-Caucase. Mais l'"islamiste" Bassaiev est d'abord connu en Russie comme homme d'affaires li� � l'oligarque Boris Berezovski, tr�s influent au Kremlin et occup� � organiser la succession de Boris Eltsine (le lancement de Poutine!). Celui-ci est soup�onn� d'avoir financ� les "wahhabites" de Bassaiev et le site "Kavkaztsentr" de Oudougov. L'absence de critiques am�ricaines de cette nouvelle guerre russe a surpris. De fait, Washington et l'OTAN semblent avoir donn� le feu vert � Moscou. Vraisemblablement pour trois raisons : la situation en Tch�tch�nie et au Caucase �tait jug�e r�ellement explosive, les r�seaux de Ben Laden mena�aient leurs apprentis-sorciers, et surtout Washington avait re�u des assurances que le futur pr�sident russe Vladimir Poutine serait bien l'homme de "la poursuite des r�formes en Russie", objectif prioritaire s'il en est. Le sort du peuple tch�tch�ne ne p�se pas lourd dans ces calculs. La guerre russe, qui ach�ve de d�truire une soci�t�, qui rase villes et villages avec leurs populations civiles, livre sa jeune g�n�ration � la tentation du radicalisme d�sesp�r�. L'�t� 2002, Bassaiev prend les commandes de l'arm�e du gouvernement s�paratiste qui avait tent� jusque-l� de se soustraire � cette pr�dominance "wahhabite". Cette "sale guerre" d'allure coloniale, enjeu de la politique russe, est nourrie par des clans mafieux des deux c�t�s. Elle expose la Russie � une sournoise "fascisation" par la x�nophobie et les pratiques de torture import�es de Tch�tch�nie et nourrit l'hostilit� de ses populations musulmanes. Relativement oubli�e par les m�dias occidentaux, elle pourrait y revenir en force si les Etats-Unis le jugeaient n�cessaire, au cas o� le pr�sident Poutine viendrait � d�plaire.

Le 11 septembre et la Tch�tch�nie offrent au Kremlin une nouvelle profession de foi : "la lutte contre le terrorisme". La Russie n'embraye pas dans l'islamophobie : elle compte pr�s de 20% de Musulmans, vivant notamment en Idel-Volga, elle compose avec le Tatarstan et les muftis, et si�ge depuis 2003 comme observatrice � la Conf�rence des pays islamiques. La version russe mod�r�e de l'antiterrorisme est utilement �clair�e par un expert du KGB, diplomate et orientaliste tel qu'Evgueny Primakov, peu suspect d'islamophobie .Mais, dans une soci�t� sinistr�e, la x�nophobie bat son plein, et la crainte de troubles sociaux encourage les milieux policiers � exploiter le th�me de l'antiterrorisme � des fins de r�pression. Des sp�cialistes en "terrorisme" y englobent "les extr�mistes" en g�n�ral, l'extr�me-droite et les antiglobalistes �tant mis dans le m�me panier. Des discours sont tenus, chez les lib�raux, sur la filiation entre nihilistes russes, r�volutionnaires du 20�me si�cle, L�nine et ... Ben Laden. Derni�re en date des r�habilitations du pass� antir�volutionnaire, celle de la "lutte antiterroriste" sous le dernier tsar, Nicolas II. Un haut responsable de la police rappelle la pratique qui consista � prendre appui sur "les associations populaires". On se souvient du r�le de Zoubatov, cr�ateur au d�but du si�cle de syndicats sous contr�le du pouvoir (le "socialisme policier") et du concours pr�t� � la r�pression polici�re par les organisations d'extr�me droite telles que les "Cent noirs", l'"Union du Peuple Russe", l'"Association de l'Archange St Michel" etc. Nikolai Litvinov, colonel de la milice et chercheur du MVD, est l'auteur d'un ouvrage sur le terrorisme qu'on aurait retrouv� dans l'un des refuges de Ben Laden en Afghanistan. Il participe � la r�daction de la loi f�d�rale russe de "lutte contre le terrorisme". Cet homme d'action et savant a plong� dans les archives de l'�poque des tsars sur le terrorisme. Il a d�couvert que les auteurs ou inspirateurs des attentats �taient souvent des "drogu�s", des intellectuels, des marxistes comme Plekhanov. La plus grande vague de terrorisme est associ�e, par N. Litvinov, � la r�volution de 1905-1907. Et de citer en exemple les policiers mod�les de l'�poque, Georgii Soudeinik et Serguei Zubatov, ce dernier fut d�nonc� par L�nine. C'est avec les initiatives "de la base", des formations antiterroristes du peuple, que le combat fut men�. Les organisations que cite en exemple le colonel Litvinov s'�taient illustr�es, sous le r�gne du dernier tsar, au d�but du si�cle, dans les pogromes anti-juifs et autres massacres d'ouvriers et de paysans, avec la complicit� du ministre de l'Int�rieur de Nicolas II, puis Premier ministre Piotr Stolypine, r�habilit� aujourd'hui comme "grand r�formateur" lib�ral de l'�poque, ce qu'il fut r�ellement (d�but de privatisation dans l�agriculture). Les Centuries noires �taient en quelque sorte les sections d'assaut du proto-fascisme russe. Voil� une r�f�rence �loquente, une fa�on de voir qui fera sans doute reparler d'elle.

5. L'alliance conflictuelle avec les Etats-Unis

La victoire remport�e sur l'URSS dans la guerre froide a conduit les Etats-Unis � d�clarer "zones d'int�r�ts strat�giques" la Transcaucasie (Caucase du sud) et l'Asie centrale, autrement dit le bassin de la Caspienne. En y ajoutant l'Ukraine, c'est toute la moiti� sud de l'ex-Union sovi�tique qui est concern�e. Il ne manque plus, pour compl�ter cette reconqu�te de l'Eurasie, que le gaz, le p�trole, et les industries de Russie d'Europe et de Sib�rie. Tant que l'Etat russe se maintient, sa souverainet� territoriale est respect�e, et l'action �tats-unienne s'effectue l� (en F�d�ration de Russie) au travers des strat�gies p�troli�res priv�es et des forces d'influence acquises, via les fondations ad-hoc, dans les m�dias, l'enseignement, les "r�visions de l'Histoire", les programmes de t�l�vision, les radios priv�es, le cin�ma, le march� vid�o, bref tout ce qui peut servir � la colonisation culturelle.

Le "partenariat" officiel avec Washington, qui avait splendidement fonctionn� lorsqu'il s'�tait agi de liquider la puissance sovi�tique allait s'av�rer tr�s illusoire imm�diatement apr�s : si la Russie conservait une "parit� nucl�aire" et donc une "capacit� de nuisance" suffisante pour imposer la crainte et le respect, si cette force et ses r�serves naturelles lui permettent de si�ger au G7 devenu G8, elle n'avait plus le statut de superpuissance de l'URSS et les avanc�es tr�s rapides des Etats-Unis en termes de techniques militaires et d'influence politico-militaire sont all�es de pair avec l'effondrement de l'�conomie et de l'arm�e russes. Les r�ves des d�mocrates pro-am�ricains de Moscou ne pouvaient qu'�tre d��us et les craintes des "patriotes" de plus en plus v�rifi�es. Sauf que (� ceci pr�s que???) les administrations Clinton et Bush cherchent moins � heurter la Russie, certes encore humili�e par l'amendement Jackson-Vennik, qu'� l'int�grer � la globalisation. "Un rapport de domination par consentement mutuel" : telle serait la formule choisie par Washington. D�s lors, le "partenariat" renouvel� par Vladimir Poutine se veut tr�s diff�rent de celui qu'avait imagin� Boris Eltsine. Plus r�aliste, il tend � m�nager, dans le cadre d'une pr�dominance �tats-unienne ind�niable, les marges de man�uvre qui permettent � la Russie de restaurer des zones d'influence en p�riph�rie et de faire valoir ses bons et loyaux services dans la conduite des int�r�ts de la "communaut� internationale".

En 2000-2003, l'activisme de Vladimir Poutine a incontestablement r�ussi � resserrer les liens avec la plupart des anciennes r�publiques sovi�tiques, y compris celles d'Ukraine, d'Azerba�djan et d'Asie centrale o� l'influence am�ricaine s'�tait le plus �tendue, mais � l'exception de la G�orgie en pleine d�stabilisation. En Ukraine, la Russie use de la dette �nerg�tique et des prises de participation dans des entreprises de longue date li�es � l'URSS, et sans doute des aspirations populaires � un renouement des liens. Sur ce chapitre, l'Ukraine est certes divis�e entre des majorit�s pro-russes, communistes ou non, � l'Est et au Sud, et la mouvance nationale-lib�rale tr�s antirusse qui pr�vaut � l'Ouest, en Galicie, et plus mod�r�ment en Transcarpatie. Tant en Ukraine qu'en Asie centrale et en Transcaucasie, on se trouve en pr�sence de projets contradictoires qui impliquent (et opposent) principalement les puissances am�ricaine et russe, mais aussi des puissances secondaires (Turquie, Iran) et des g�ants p�troliers li�s aux puissances mais non align�es n�cessairement sur les pouvoirs. En Transcaucasie, l'ol�oduc BTC (Bakou-Tbilisi-Ceyhan) est clairement dirig� contre les int�r�ts russes, de m�me qu'en Ukraine, le projet de pipeline reliant Odessa � Brody, pour acheminer le p�trole caspien vers l'Europe centrale. L'un et l'autre ont �t� contest�s par les firmes occidentales en raison de leur non-rentabilit�, mais encourag�s par les administrations Clinton et Bush pour des raisons politiques.

Or, si les Etats-Unis et l'Union Europ�enne cherchent � int�grer l'Ukraine � l'Union europ�enne, pour la d�tacher de la Russie, celle-ci met en �uvre un contre-feu avec, en 2003, la cr�ation d'un "Espace �conomique commun" entre Russie, Ukraine, Bi�lorussie et Kazakhstan. Au plan militaire, l'�largissement de l'OTAN (avec "partenariat" russe) et l'�tablissement de bases (Asie centrale) et de missions am�ricaines (G�orgie, Ukraine) se heurte � une contre-offensive russe, sous couvert de "Trait� de S�curit� Collective" dot� d'une force d'intervention rapide, impliquant fin 2003 six des douze Etats membres de la CEI et une nouvelle base � Kant (Kirghizistan). Le ministre de la D�fense, Serguei Ivanov fait savoir, � la veille de son inauguration le 23 octobre 2003, que l'aval donn� � l'implantation de bases militaires de l'OTAN ("et non des Etats-Unis") en Ouzb�kistan et au Kirghizistan concernait la seule p�riode de l'op�ration en Afghanistan et du mandat de l'ONU, "mais pas pour des d�lais plus longs".

Peu de temps auparavant, le 2 octobre, le pr�sident Poutine a adopt� une nouvelle doctrine militaire qui confirme l'intention de la Russie de conserver (et d�velopper) des forces nucl�aires "comme moyen de dissuasion politique", ne projetant pas de les employer "en premier", mais se r�servant "le droit de faire usage de la force � titre pr�ventif lorsque les int�r�ts de la Russie ou ceux de ses alli�s sont menac�s et que tous les autres moyens se sont av�r�s inefficaces". Le 3 novembre, Vladimir Poutine pr�cise dans un entretien � un journal italien : "Le droit international actuel a �tabli les stricts crit�res de la possibilit� de l'usage de la force. On ne peut user de la force que par d�cision du Conseil de s�curit� de l'ONU". Le pr�sident russe esquive la question du journaliste qui veut lui faire dire que la guerre pr�ventive serait aussi dans les intentions du Kremlin..

6. Probl�mes identitaires

Le rapport changeant de la Russie au monde s'�labore enfin dans une red�finition identitaire complexe et douloureuse. La fin de l'URSS rel�gue dans le pass� l'identit� "imp�riale" ou sa variante sovi�tique. Au-del� de ces formes de "patriotisme politique", c'est l'ensemble des traditions communautaires et spirituelles russes qui se trouve mis en question par la globalisation, le choc culturel de l'ouverture des fronti�res et le d�ferlement des produits de la culture de masse am�ricaine. Des lib�raux, mais aussi des marxistes internationalistes ont tendance � n�gliger ces questions, puisque "le monde s'unifie" et que les "singularit�s" russes n'y seront plus qu'un souvenir.

Il faut pourtant se garder de l'esprit "jet society", de gauche comme de droite, en vertu duquel l'�re du supersonique et d'Internet abolirait les distances et les diff�rences. Ce n'est pas, ici, le lieu d'en traiter. Signalons seulement que les aspects nationaux et religieux, les plus souvent �voqu�s lorsqu'on parle d'"identit�s", ne sont pas les seuls � devoir �tre pris en consid�ration. Le r�gne de l'argent, auquel n'�taient gu�re habitu�s les Russes, et les privatisations ont boulevers� en quelques ann�es les rapports sociaux, les relations au sein des familles et des cercles d'amis, modifi� brusquement des millions de trajectoires personnelles, poussant � l'�migration des centaines de milliers de personnes, se retrouvant sur les divers march�s de l'emploi en Occident (hautes qualifications, chantiers et exploitations agricoles intensives ou prostitution). Le pays se refait avec "ceux qui restent". Amoindri, d�moralis�, "flou� par l�Histoire".

Pas plus que la collectivisation stalinienne des ann�es trente "liquidant" la civilisation rurale, la lib�ralisation des ann�es 90 n'aura facilement raison des mani�res de vivre et de penser, d'entrer en rapport les uns avec les autres fa�onn�s par de longues habitudes. La question se pose, d'ailleurs, en termes tr�s divers selon les couches sociales et les r�gions. A c�t� d'une soci�t� "bourgeoise" conforme aux attentes occidentales et reproduisant les discours convenus, et surtout concentr�e � Moscou, de vastes secteurs de la soci�t� sovi�tique relativement homog�ne ont �t� soit renvoy�s vers des modes de relation pr�-modernes, soit pr�cipit�s dans des formes de d�ch�ance humaine terrifiantes. Des formes de solidarit� et de r�sistances nouvelles s'essaient �galement qu'occultent totalement nos canaux d'information courants. En tout cas, la "prikhvatizatiia" (d�formation du mot "privatisation" �voquant la pr�dation) est tr�s largement rejet�e, ce que les lib�raux ne veulent pas admettre ou qu'ils m�prisent comme "asiatisme" ou "mentalit� d'esclaves". Au m�me titre que le "regret" de l'URSS qui, � la faveur du d�sastre actuel, rev�t l'image d'un "paradis perdu". Autre forme de qu�te identitaire, l'attitude envers le pass� sovi�tique, toujours tr�s pr�sent, est vite r�duite � une "nostalgie" irrationnelle, alors que des enqu�tes approfondies montrent qu'il s'agit de r��valuations r�fl�chies de ce pass�, �videmment "positives" par rapport au d�nigrement qui a domin� les m�dias depuis 1991. Or, c'est surtout l'id�e d'une "parenth�se" a-historique, comme si le temps s'�tait arr�t� entre 1917 et 1991, qui est intenable.

Nombre d'anciens Sovi�tiques, et m�me des jeunes arriv�s � l'�ge adulte "apr�s la fin du communisme" pourraient reprendre � leur compte ce que disait le secr�taire d'�tat am�ricain Colin Powell, r�habilitant sans le vouloir l'h�ritage sovi�tique : "La Russie occupe une position cl� dans l'ar�ne mondiale. C'est un grand pays, �tendu sur 11 fuseaux horaires, avec un impressionnant potentiel strat�gique, �nerg�tique, �conomique, des gens talentueux et bien �duqu�s, qui ont obtenu de remarquables succ�s dans la science, la technique et les arts".

Le tournant de l��re Poutine para�t vouloir accorder le discours russe de restauration de la puissance avec celui de l�h�g�monisme �tats-unien sous le pr�texte commun de la lutte contre le terrorisme international. Reste � voir dans quelle mesure le capitalisme et l��tat en Russie ont encore vocation � des espaces de souverainet�, ou de singularit�s culturelles. Dans un processus globalitaire qui les contredit, une logique de destruction des soci�t�s humaines non conformes.


 � Copyright Jean Marie Chauvier 2003  For fair use only/ pour usage �quitable seulement .


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