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Le Pentagone et la CIA enr�lent Hollywood

par Samuel Blumenfeld

Le Monde, le 24 juillet   2002.
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM),  globalresearch.ca ,   juillet 2002

Global Outlook , Issue No 2   9-11: Foreknowledge or Deception? Stop the Nuclear Threat. Maintenant disponible .

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Les films de guerre am�ricains, comme "La Somme de toutes les peurs", o� des terroristes font exploser une bombe nucl�aire, font appara�tre les liens �troits et renforc�s, depuis le 11 septembre, entre l'industrie cin�matographique et des autorit�s soucieuses d'am�liorer leur image.

Depuis le 11 septembre, pr�s d'un tiers des films arriv�s en t�te du box-office am�ricain sont des films de guerre. La Chute du faucon noir, de Ridley Scott, reconstituait la d�b�cle am�ricaine en Somalie, Nous �tions soldats, de Randall Wallace, renouait avec la guerre du Vietnam, tandis que La Somme de toutes les peurs, de Phil Alden Robinson, ressuscite le spectre d'une guerre nucl�aire. Jamais le cin�ma de guerre n'a connu une telle r�surgence depuis les films sur le Vietnam de la deuxi�me moiti� des ann�es 1980 (Platoon, Outrages, Hamburger Hill...).

Un retour qui ne s'explique pas tant par l'effet 11 septembre que par le succ�s d'Il faut sauver le soldat Ryan, de Steven Spielberg, en 1998. Mais surtout, comme le fait remarquer Jim Hoberman dans un article paru le 28 juin dans le Village Voice et titr� How Hollywood Learned to Stop Worrying and Love the Bomb (en r�f�rence au sous-titre de Dr Folamour), jamais depuis la grande �poque des films de guerre reaganiens comme Rambo, Top Gun et Port�s disparus Hollywood n'a sembl� aussi proche de Washington.

On a r�cemment pu voir le vice-pr�sident am�ricain, Dick Cheney, rejoindre le secr�taire d'Etat � la d�fense, Donald Rumsfeld, � la premi�re de La Chute du faucon noir � Washington. Lorsque la sortie du film fut avanc�e en d�cembre 2001, pour profiter de l'effet 11 septembre, des cassettes du film furent envoy�es aux bases am�ricaines � l'�tranger. Nous �tions soldats et La Somme de toutes les peurs ont eu droit au m�me traitement officiel. Le film de Wallace a �t� montr� en projection priv�e � George W. Bush, Donald Rumsfeld, Condoleezza Rice et plusieurs cadres du Pentagone. La premi�re mondiale de La Somme de toutes les peurs s'est d�roul�e � Washington. Paramount a bien pris soin d'alerter les m�dias sur le concours exceptionnel de la CIA et du Pentagone dont avait b�n�fici� son film. L'�quipe du film a eu acc�s � des donn�es class�es "confidentiel" pour une somme symbolique. L'�change est de bonne guerre. Les producteurs de La Somme de toutes les peurs ont donn� � leur ! film un degr� de r�alisme in�dit, tandis que la CIA et le Pentagone, en contr�lant �troitement son contenu, peuvent l'utiliser pour leur recrutement � une p�riode o� le service militaire n'est plus obligatoire alors que le pays m�ne une guerre en Afghanistan.

Cette lune de miel entre Hollywood et le Pentagone n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans une longue histoire que l'historien militaire Lawrence D. Suid retrace dans son livre Guts and Glory : the Making of the American Military Image in Film (University Press of Kentucky, 2002). Il y montre que les liens entre Hollywood et le Pentagone ont toujours �t� �troits, et remontent � 1915 et Naissance d'une nation, de D.W. Griffith, o� des ing�nieurs de West Point avaient apport� une aide logistique sur les s�quences situ�es durant la guerre civile.

PUBLIC DEMANDEUR

Pourtant, cette alliance entre Hollywood et le Pentagone semblait impensable dans la foul�e du 11 septembre. Les studios hollywoodiens repoussaient la sortie de leurs productions o� apparaissaient des terroristes � dont Collateral Damage avec Arnold Schwarzenegger. Ils remisaient sur leurs �tag�res tous leurs projets li�s � cette question, comme World War III, produit par Jerry Bruckheimer (Top Gun, Pearl Harbor, La Chute du faucon noir), o� les villes de San Diego et Seattle sont d�truites par une bombe nucl�aire, et Nose Bleed, o� Jackie Chan devait interpr�ter un laveur de carreaux qui d�masque un complot visant � d�truire le World Trade Center. Hollywood semblait pr�t � courber l'�chine apr�s le 11 septembre, comme pour anticiper une punition amplement m�rit�e. Le Los Angeles Times signalait que le go�t de l'industrie du film pour les films-catastrophes, ou mettant en sc�ne des terroristes, avait simplement disparu. Un producteur chez DreamWorks expliquait que l'�poque o! � le studio produisait des films comme Le Pacificateur (New York menac� d'une bombe atomique) ou Deep Impact �tait r�volue.

Le public en a d�cid� autrement. Le Washington Post du 3 octobre 2001 signalait ainsi que Rambo et Pi�ge de cristal faisaient partie des titres les plus demand�s dans les vid�oclubs. Au lieu d'�tre puni, Hollywood a �t� enr�l�. Peu apr�s le 11 septembre, l'Institute for Creative Technologies de l'universit� de Californie du Sud, sponsoris� par le Pentagone, organisait plusieurs meetings avec le sc�nariste Steven De Souza (Pi�ge de cristal, 58 minutes pour vivre), et les r�alisateurs Joseph Zito (Delta Force, Invasion USA, Port�s disparus), David Fincher et Spike Jonze. L'objet de ces r�unions, dirig�es par le g�n�ral Kenneth Bergquist, �tait d'imaginer des sc�narios d'attaques terroristes et de mettre au point une �ventuelle r�plique.

Lawrence H. Suid raconte comment Washington se rapproche syst�matiquement de Hollywood en p�riode de guerre. Ainsi, durant les ann�es 1960, apr�s les sorties de Point limite z�ro de Sydney Lumet, Dr Folamour de Stanley Kubrick et Sept jours en mai de John Frankenheimer, qui offraient une image critique et ironique de Washington et du Pentagone, le g�n�ral Curtis LeMay intervint aupr�s du producteur Sy Bartlett � Universal pour lancer la production d'un film � la gloire de l'arm�e de l'air, Le T�l�phone rouge, avec Rock Hudson. La nouveaut� aujourd'hui ne se situe pas tant � un niveau de collaboration in�dit entre le Pentagone, la CIA et l'industrie du film que dans la mani�re dont Washington semble �laborer sa strat�gie de communication en fonction de certains films hollywoodiens.

L'attorney g�n�ral John Ashcroft a ainsi attendu le lundi suivant le deuxi�me week-end d'exploitation de La Somme de toutes les peurs pour annoncer l'arrestation du terroriste Abdullah Al-Mujahir, de son vrai nom Jos� Padilla, li� � Al-Qaida, qui fomentait un attentat proche de celui qui se produit dans le film de Phil Alden Robinson. Plus �trange encore, John Ashcroft se trouvait � Moscou au moment de cette annonce, comme pour faire �cho au d�nouement de La Somme de toutes les peurs, o� la coop�ration russo-am�ricaine sauve le monde du chaos. Faudra-t-il d�sormais, pour savoir si les Etats-Unis vont intervenir en Irak, regarder attentivement les calendriers de sortie des films ?


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